« Méfiez-vous des convertis : ce sont les pires ! », ironisait le poète Claudel. Fougueux, passionné, parfois intransigeant, Paul (Saul est son nom juif) a en effet secoué la toute jeune communauté chrétienne. Non sans heurts, parfois. Mais sans l’action infatigable de ce juif converti, y aurait-il aujourd’hui des chrétiens en dehors d’Israël ?
« Dieu a fait de moi l’apôtre destiné aux autres nations, tout comme il a fait de Pierre l’apôtre destiné aux Juifs », écrit-il dans une de ses lettres. Rien de moins. Il a un sens aigu de sa mission, Paul, lorsqu’il se présente aux Galates. Et aussi cette audace un peu insolente des convertis de fraîche date.
Rien, pourtant, ne le prédisposait à parler un jour de la sorte. Né aux alentours de l’an 5 à Tarse (dans le sud de l’actuelle Turquie), Saul est un juif pure souche, né dans une famille aisée à qui a été accordé le privilège de la double citoyenneté, juive et romaine. Tisseur de tentes comme son père, il a aussi appris le grec (Tarse est une ville cosmopolite et érudite) et étudié, à Jérusalem, avec le grand maître Gamaliel.
Fréquentant le milieu pharisien, il a participé à la tentative de destruction de l’Église naissante. Pendant tout un temps, il a parcouru les villes et les villages pour « dénicher » les chrétiens et les mettre en prison. Les Actes des Apôtres nous disent d’ailleurs qu’il a assisté à l’assassinat d’Etienne, le premier martyre de l’Église chrétienne. Pour les chrétiens, il était donc une terreur… Sa vive intelligence avait sans doute déjà perçu combien le message de l’Évangile risquait d’ébranler l’idéal juif de stricte observance de la Loi, pilier de sa nation…
Mais un jour, c’est le changement total. Que s’est-il passé exactement sur le chemin de Damas ? Paul restera, là-dessus, d’une grande discrétion. Est-il d’ailleurs possible d’exprimer en mots une expérience aussi bouleversante ? Ce qui est certain, c’est que le nouvel apôtre va être dévoré d’un zèle qui va conditionner toute sa vie : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! », écrit-il. Dès lors, il n’aura de cesse de trouver des auditeurs pour leur annoncer la Bonne Nouvelle. La Syrie, l’Anatolie, Chypre, Athènes, Rome enfin, ses voyages s’élargissent comme les cercles formés par une pierre que l’on jette dans l’eau. Près de 4.000 km, à pied, à cheval, en bateau, dans des conditions souvent difficiles (des lynchages, un naufrage…) : rien n’arrête Paul.
Cela ne fait pas que des heureux, au sein de la communauté chrétienne. Bien des Juifs convertis voient d’un mauvais œil ce trublion qui critique ouvertement Pierre lui-même pour sa trop grande complaisance. Qui parvient à le convaincre de permettre aux non Juifs de ne pas être circoncis. Qui va jusqu’à relativiser la Loi juive. C’est que Paul est aussi un théologien de première force. En bon élève de Gamaliel, il a la pensée à la fois complexe et rigoureuse. En bon Juif cosmopolite, il a cette souplesse qui lui permet de faire éclater les cadres trop étroits pour permettre à l’Évangile d’entrer en dialogue avec d’autres cultures que la sienne. En fidèle disciple du Christ, il a compris que tout être humain pouvait être comme lui atteint par la grâce de l’Amour qui libère.
Il lui faudra bien du talent et des efforts pour échapper aux pièges subtils que lui tendent les juifs. Sa citoyenneté romaine lui sera utile plus d’une fois pour échapper au châtiment et, lorsqu’il sera traîné devant le Sanhédrin, il pourra en appeler à la justice de l’Empereur. Sa décapitation, sous Néron (suite, peut-être, à une dénonciation), est, elle aussi, le supplice réservé aux citoyens romains. Tout un symbole : né Juif, Paul est au fond citoyen du monde au moment où il disparaît. Il laisse derrière lui d’innombrables communautés et réseaux par où le christianisme va continuer à grandir et se propager. Ses écrits vont indiquer le chemin d’une inlassable recherche de la figure de Dieu. L’Église peut désormais devenir catholique, c’est-à-dire universelle.
Bonne lecture,
Votre curé Ralph Schmeder