Une histoire de cendres : L’histoire de la lettre Aleph

Une histoire de cendres : L’histoire de Aleph, la lettre qui avait mal à la tête.

Je vais vous raconter une histoire d’il y a très longtemps. Une histoire du temps où les lettres parlaient. C’est une histoire de la lettre Aleph.

Un beau matin, la lettre Aleph alla trouver le Seigneur Dieu. Elle était toute pâle. Elle dit, tout doucement : « Dieu, je suis fatiguée, je n’en peux plus, j’ai mal à la tête !  Je suis toujours dans des mots de parole. Je suis ton Nom … et chaque matin les humains me disent dans la prière « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN ». Je suis au début du mot Dieu, au début du mot père, au début du mot mère… et tout cela parle, appelle, raconte, rouspète, chante, prie, se fâche, discute, murmure… J’en ai plein les oreilles ! Je n’en peux plus. J’ai mal à la tête. S’il te plaît, trouve-moi une place où prendre un peu de repos. »

Dieu n’avait jamais entendu la lettre Aleph se plaindre. C’était la lettre du UN, la 1ère lettre de tout l’alphabet, celle qui se trouve avant toute chose. C’était une lettre qui ne se prononce pas, une lettre du silence. Dieu ne l’avait jamais entendu dire tant de mots à la fois ! Elle devait vraiment être à bout !

Dieu dit à Aleph : « D’accord, assieds-toi au calme, repose-toi, je vais voir ce que je peux faire. » Et il partit chercher dans son grenier à lettres. Il revint au bout d’un long moment.

« Voilà, je te présente les lettres Pé et Rech. À elles 2, elles ne font pas de bruit : elles parlent de fécondité, elles parlent de grandir, de porter du fruit, d’avoir des enfants. Elles parlent de la vie qui continue. Mais rassure-toi, la vie qui continue, ce n’est pas bruyant : c’est le grain de blé qui germe dans la terre, c’est l’enfant qui se forme dans le sein de sa mère, c’est le poème qui chante à l’oreille du poète, c’est la pomme qui mûrit, la pâte qui lève, l’aiguille qui coud, l’enfant qui apprend, le vieillard qui rêve, le vigneron qui taille. C’est le garagiste qui répare et l’infirmière qui console. À elles deux, Pé et Rech disent tout cela. Je pense que tu t’entendras bien avec elles, toi qui es au début de tout ! »

Dieu avait beaucoup parlé. Aleph ne dit rien. En silence, à son habitude, elle alla se mettre devant pé et resch. Et Dieu cria le mot nouveau : Cendre. Epher : la cendre.

Ouf ! La lettre Aleph était un peu au calme ! La cendre, c’est ce qui reste quand le feu ne brûle plus, quand tout est fini, refroidi. Quand tout est redevenu calme. La cendre, c’est ce qui reste quand on dirait qu’il n’y a plus rien, quand il reste le plus important du bois.

C’est une nouvelle vie qui a commencé pour Aleph avec Pé et Rech. À elles trois, elles sont épher, la cendre. Elles viennent quand le feu a fini de brûler, quand le crépitement des flammes s’est tu.

Parfois, les humains viennent recueillir la cendre doucement, sans parler fort, sans faire de grands gestes : ils ont trop peur qu’elle s’envole. Puis les hommes la mettent sur la terre noire. Là, dans le silence de la terre, la cendre aide l’herbe à pousser, les légumes à grossir, les fleurs à fleurir.

Parfois les hommes se la mettent sur le front les uns des autres. Là, dans le silence de Dieu, la cendre aide l’humain à porter du fruit, à devenir UN, à l’image et à la ressemblance de Dieu.

L. Lefèvre, janvier 2010

La culture sur brûlis est une technique agricole qui consiste à brûler une terre pour défricher la végétation existante et, du même coup, fertiliser le sol grâce à la cendre ainsi créée.

Aleph // « h » aspiré :

// Une haine, la haine

// Une histoire, l’histoire